
Ce qui a contribué à changer certaines idées, à la fin du XIXe siècle, ce sont les échanges culturels avec l’Extrême-Orient. Au Japon , hormis quelques châteaux dont nous dirons un mot à la fin, tout était en bois.
Une des premières maisons japonaises construites en France est Midori no sato, en 1886, sur le vœu de Hugues Krafft dans sa propriété de Jouy-en-Josas. Elle n’existe plus. Les pavillons du jardin japonais d’Albert Kahn, à Boulogne, ne sont pas antérieurs à 1897. Ils sont de temps à autre repris ou refaits.
Acte 1 : préserver les bâtiments de bois
Le voyageur est surpris1, devant un temple en bon état comme le temple octogonal (Hakkakudô) du Eisan-ji à Nara, qu’on lui dise qu’il date de 760.


Il existe plusieurs méthodes classiques pour ‘préserver’, qui ont donné matière aux débats d’aujourd’hui sur le patrimoine et sa préservation. Une contribution importante est un article illustré d’un japonologue français et trois architectes japonais sur la transmission du patrimoine architectural au Japon2, dont je vais résumer le début.

NISHIDA Masatsugu y explique les procédés distincts de deux traditions majeures au Japon. Dans le cadre de la religion shinto, le sanctuaire d’Ise par exemple3 est reconstruit tous les vingt ans, et cela depuis plus de mille ans. On reconstruit à l’identique un temple nouveau avant de démonter l’ancien. Ce procédé, dit shikinen-zōtai, est en réalité la partie proprement architecturale du shikinen-sengū : on rénove tout l’habitat de la divinité, ses vêtements autant que son mobilier, et il n’est pas question qu’il y ait un moment où elle soit sans. Il faut donc maintenir l’ancienne résidence aussi longtemps que la nouvelle n’est pas parfaite.
Du reste, ajoute YOSHIDA Kôichi, dans l’Antiquité, quand l’empereur changeait, la capitale et le palais étaient reconstruits. Ce qui implique une nécessité du neuf, pour le règne nouveau.

D’autre part dans le cadre bouddhiste, rien de tel. Il existe en fait des bâtiments bouddhistes matériellement très anciens, comme les pagodes du Hôryû-ji ou celle du Hokku-ji, qui datent du VIIe siècle. Elles sont en bois ! On peut les démonter pour réparer les pièces abîmées4 ; mais l’usage n’est pas de reconstruire à proprement parler.

L’un des participants fait remarquer qu’on pourrait distinguer 3 procédés. L’un est le zōtai, quand on construit une copie exacte en neuf ; l’autre est de tout démonter, de réparer les pièces qui en ont besoin, et de remonter, comme on peut faire pour les temples bouddhiques par exemple.
Enfin, comme dans le cas du ‘Pavillon d’or’ de Kyôtô, qui a brûlé en 1950, on reconstruit aussi bien qu’on peut. Le roman de Mishima, Le Pavillon d’or (1956)5, a rendu cette affaire célèbre en Europe.

Acte 2. La pierre
Il existait, dans le Japon d’avant Meiji, des édifices en pierre6, des châteaux forts, nommés 城 jō7. Il en reste une douzaine. Le plus célèbre et peut-être le plus spectaculaire, celui de Himeji, possède un soubassement en pierre, mais est en bois. Il est surmonté de shachi 鯱, sculptures en formes de poissons-dragons pour protéger les toits contre le feu (voir ci-contre).

Le premier en date semble avoir été le château d’Azuchi8, détruit en 1582 lors de la révolte contre ODA Nobunaga, son bâtisseur. C’est aussi le premier édifice japonais dont on a vu une image en France, au XVIe siècle9.

Acte 3. Matériaux
Là aussi, il faudrait tenir compte du rapport entre extérieur et intérieur, des parois de papier translucide (mais non pas transparent) dont Tanizaki avait si bien mis en valeur le rôle, dans son Eloge de l’ombre.10
De cette marche qu’il faut monter pour atteindre le niveau du parquet.

Des essences utilisées pour le bois, et de la façon dont sont formés les artisans des édifices à rénover. Mais aussi de la provenance des arbres dont les régions de croissance sont l’homologue des carrières ; de leur traitement, des techniques de sciage.
Bien sûr de leur souplesse et de la fonction du bois dans la résistance aux séismes. Et donc de la conception des joints pour assurer à la fois la solidité et le jeu, et la possibilité du démontage.
Conclusion

L’intérêt pour l’architecture japonaise traditionnelle, soft power en son genre, n’a pas diminué depuis que le bois (avec le bambou) revient sur le devant de la scène esthétique et morale.
Mais l’architecture au Japon s’est transformée, alors même que les modèles anciens séduisaient hors du Japon.

NOTICES des images. Introduction. (1) Photo du pavillon Ouest, jardins Albert Kahn, juin 2024. Acte 1. (2) La photo du Hakkakudô (temple octogonal) de Nara provient d’un site internet. Voir aussi ici. (3) et (4) proviennent d’ici. (5) Le Shôsô-in. Source de l’image. (6) La photo du Pavillon d’or ruiné par l’incendie de 1950 provient d’ici. Acte 2. (7) Un shachi sur le toit du château de Himeji. Noter l’ajout mécréant du paratonnerre. Source de l’image. (8) La photo du château d’Himeji, recoupée, provient d’ici. Acte 3. (9) et (10) sont des photos prises lors d’une expo autour de la construction d’un Pavillon de thé, à la Maison du Japon à Paris, janvier 2024. Conclusion. (11) Le pavillon de thé dont il vient d’être question.
- On peut aussi consulter les lexiques ethnographiques illustrés publiés sous le titre Guide illustré du Japon traditionnel, dir. Seiichiro Yamamoto, dont le vol. 1 est ‘Architecture et objets du quotidien’. Ed. Sully, coll. Le Prunier, 2019, trad. fr. Marie Maurin. La part de l’architecture est mineure, mais bien faite. Des ouvrages plus complets sont Ôta Hirotarô, 2024, Particularités de l’architecture japonaise, traduit et commenté par Jean-Sébastien Cluzel et NISHIDA Masatsugu, Ed. Scala. Ou David & Michiko Young, 2019, The Art of Japanese Architecture. History, Culture, Design, Ed. Tuttle. [↩]
- Voir Jean-Sébastien Cluzel, Masatsugu Nishida, Zentarô Yagazaki, Kôichi Yoshida, 2020, ‘Transmission du patrimoine architectural au Japon. Décryptage’, in Perspective 2020/1, 43-66. Accessible ici. [↩]
- YAGASAKI Zentarô dit, plus loin dans l’article, qu’il existe au Japon environ 150 édifices régulièrement rebâtis de cette façon ; il ajoute que le cycle court de 20 ans, n’est pas pour rien dans la célébrité du procédé. [↩]
- Dans l’article que j’utilise, YAGASAKI Zentarô dit que ce procédé a lieu, en moyenne une fois tous les cent ans ; ou même trois cents ans pour les constructions les plus robustes. [↩]
- Traduction française par Marc Mécréant, 1961. [↩]
- En choisissant ici le cas du Japon, je ne veux pas dissimuler les édifices de pierres des Indes ni de la Chine ! Mais ce billet n’est pas un article d’encyclopédie. En Chine, les plus anciens édifices plus ou moins conservés (il y a eu des restaurations sévères) sont en briques comme la pagode de Songyue, VIe siècle (?) ; les édifices de brique et de bois comme le temple de Nanchan 南禪寺, dans le Wutai Shan (VIIIe siècle, rénové XIe), dont la toiture est ancienne ; le temple de Foguang dans la même région, daté 857 ; la pagode de Fogong 佛宫寺释迦塔 Fógōng sì shìjiā tǎ, supposée plus ancienne pagode en bois, en Chine. Les premiers temples en pierre semblent être des XIVe et XVe siècle – si l’on met de côté les grandes assises ou terrasses surélevées des édifices en bois. [↩]
- La lecture de ce caractère en chinois du Nord est chéng, et le mot signifie ‘muraille, rempart’, avant de signifier – plus souvent – ‘ville’. [↩]
- 安土城, Azuchi-jō [↩]
- Comme l’explique Jean-François Cluzel dans Le Japonisme architectural en France, 1550-1930, p. 48, l’image du château d’Azuchi a été le premier édifice japonais visible à des Occidentaux, parce qu’il était peint sur des paravents amenés avec la première ambassade japonaise en Europe, en 1585. Ces paravents font l’objet, dans l’ouvrage cité, d’une contribution illustrée d’Ilaria Andreoli, p. 58-71. Une partie importante de ce livre est consacrée aux travaux de ‘reconstruction’ menés sur les pavillons japonais des Jardins Albert-Kahn, dont on parlait au début de ce billet. [↩]
- Voir le caramel ‘L’Enigme de l’ombre‘. [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
François Jacquesson (26 juillet 2025). La pierre et le bois-2 : Japon. Caramel. Consulté le 18 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14fnt
Une réflexion sur « La pierre et le bois-2 : Japon »