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Pourquoi le « serment doctoral » n’est pas bon

Depuis 2022, on a cru utile d’imposer aux gens qui, à l’issue de leur soutenance de thèse, sont reçus docteurs, la prononciation d’un “serment”. L’énoncé n’a pas effet juridique, pas plus d’ailleurs que le serment d’Hippocrate dont il veut imiter le prestige. Ce qui est juridiquement décisif, c’est la décision du jury.

Bizarrement, l’essentiel du texte est une promesse de moralité, pour dire qu’on ne commettra ni abus de confiance ni faux – de sorte que le nouveau docteur et son jury ont l’impression qu’on les voit comme un ramassis de forbans potentiels, dont le nouveau docteur doit se protéger par une déclaration pieuse.

Si l’on cherchait un petit texte exaltant la joie de la recherche et le plaisir d’instruire – c’est vraiment raté.

En présence de mes pairs. Parvenu(e) à l’issue de mon doctorat en [xxx], et ayant ainsi pratiqué, dans ma quête du savoir, l’exercice d’une recherche scientifique exigeante, en cultivant la rigueur intellectuelle, la réflexivité éthique et dans le respect des principes de l’intégrité scientifique, je m’engage, pour ce qui dépendra de moi, dans la suite de ma carrière professionnelle quel qu’en soit le secteur ou le domaine d’activité, à maintenir une conduite intègre dans mon rapport au savoir, mes méthodes et mes résultats.

Ce texte se trouve sur le site de ‘l’Office français de l’intégrité scientifique’ – et il s’appelle, exactement : Serment doctoral d’intégrité scientifique.

Devant un tel texte, qui affirme que l’intégrité scientifique est assez menacée pour qu’on souhaite que le nouveau docteur (masculin ou féminin, bien sûr) s’engage solennellement à être honnête, on pense d’abord – le texte date d’avant la généralisation de l’IA, mais le phénomène était déjà bien mûr – aux problèmes de fraude aux examens, de plagiat (c’est-à-dire de copiage non signalé comme tel et sans indication de source), voire d’abus de confiance dans des cas où le directeur (ou directrice, bien sûr) de thèse utilise les travaux du thésard sans rendre compte de leur provenance.

Depuis longtemps, le problème de la fraude a été celui des élèves, et on constate que les tentatives de fraude existent bien, parfois même aux examens et concours les plus difficiles, où cependant la surveillance plus sévère rend ces cas très rares.

Le problème a changé d’allure avec le copié-collé automatique et le plagiat des sources accessibles, notamment sur internet. Les professeurs en collège, au lycée, à l’université, ont souvent recours à des outils informatiques qui essaient de repérer le copiage le plus flagrant.

Largement dénoncés sur des sites spécialisés, les cas d’abus de confiance, au sens décrit plus haut, existent en effet, mais la publicité qu’on leur a faite semble en avoir efficacement réduit la fréquence. Le cas inverse n’est d’ailleurs pas rare, d’étudiants qui dans leurs travaux utilisent ceux de leurs professeurs sans les mentionner clairement.

*

Tous ces cas sont malhonnêtes pour une raison simple mais essentielle dans la pratique scientifique : il faut citer ses sources, et indiquer avec soin son cheminement. C’est aussi important pour l’auteur que pour les lecteurs. La thèse de doctorat est le moment clé de cet apprentissage parce que, s’il se fait bien sûr aussi avant, par exemple lors des travaux universitaires qui ont précédé, la thèse doit être la démonstration que son auteur a parfaitement su appliquer ce principe de transparence, qu’il a bien sûr nourri d’une réflexion ou d’une expérience personnelles.

Il en résulte que ce “serment” ne devrait pas être prononcé après la thèse mais longtemps avant. Si la thèse ne répond pas à l’exigence mentionnée – évidente pour les professeurs et la plupart des étudiants avancés – la conclusion est simple : elle ne doit pas être acceptée par le jury, dont l’un des rôles est précisément celui-là.

Nous allons ouvrir (brièvement, c’est promis) une page un peu douloureuse. C’est que la plupart des thèses qui viennent à terme sont acceptées par les jurys ; à tel point d’ailleurs que la plupart des jeunes gens qui obtiennent une bourse de thèse sont à peu près persuadés que leur thèse est acquise, et qu’ils sont « virtuellement » docteurs. Il est clair que dans un contexte où aucune thèse n’est refusée, le jugement rigoureux des qualités de la thèse est difficile, ou inopérant. Mais il est encore plus clair que le “serment” ne pourra pas servir de pansement à une thèse mal faite.

Ajoutons que, bien entendu, il est plus judicieux, et moins douloureux pour l’étudiant, de ne pas encourager à poursuivre ceux ou celles dont on voit que la thèse est trop mal partie, ou dont les qualités « éthiques » sont loin d’être bien rodées. En fait, il conviendrait de les décourager avec sincérité. De ce point de vue, les “comités de suivi de thèse” sont utiles.

Ce qui ajoute au paradoxe de ce “serment” à contre-temps, est le flou des notions qui y sont agitées. « Quête de savoir » est ronflant ou prétentieux. « Recherche scientifique exigeante » n’est qu’un pléonasme. « Réflexivité éthique » n’a peut-être aucun sens, et en tout cas n’ajoute rien.

Le point principal est l’intégrité scientifique, que tous les concepts précédents obscurcissent, et finissent par laisser concevoir comme une religion de « l’éthique » – sinon un dogme, puisqu’il faut jurer !

Cette intégrité scientifique n’a rien d’obscur, et il est décisif que les étudiants la conçoivent clairement. Comme il n’est pas question de dire à un jeune chercheur après sa thèse ce qu’il doit chercher, puisque la responsabilité du chercheur est d’orienter sa recherche en fonction de ce qu’il découvre et de ce qu’il comprend mieux à mesure qu’il progresse (il en sera ainsi tout au long de sa vie de chercheur), la véritable exigence est de lui avoir montré, comme nous l’avons dit, l’importance d’indiquer ses sources, d’expliciter ses méthodes, et de procéder avec la plus grande clarté possible. Il me semble que c’est vrai dans toutes les sciences.

Ce propos simple doit être expliqué très tôt aux jeunes étudiants, et les professeurs auront eu l’occasion au cours des années d’études supérieures d’en montrer le bien-fondé, le plus souvent par l’exemple.

Le dissimuler sous des termes aussi ambigus que « éthique », dont il est difficile de montrer s’il est distinct de « morale », ou même « intégrité » qui ne semble pas distinct « d’honnêteté », est contre-productif, car la morale ou l’honnêteté ne valent pas que dans la recherche, il me semble. Noyer les exigences propres à la recherche dans un discours où l’on confond la vie propre des individus avec les exigences de la science, paraît bien étrange. C’est en tout cas peu propice à éclairer la singularité de la recherche elle-même, dont le doctorat, en principe, ouvre la possibilité.

Mais le reproche que beaucoup de chercheurs font à cette tirade maussade du “serment”, c’est son côté méfiant et négatif. On dirait un prêtre qui voudrait exiger, du nouveau-né au culte, un engagement de bonne conduite.

Est-il souhaitable d’imposer au jeune chercheur un “serment” soulignant avec lourdeur des interdits ou des menaces, alors qu’au contraire on devrait encourager chez lui, ou chez elle bien sûr, l’élan qui l’a mené jusqu’à la clôture d’une thèse que le jury a appréciée positivement ?

Si l’Université est en mal de rituels, elle devrait se souvenir du destin du serment d’Hippocrate, que cette mouture maladroite cherche à imiter. Tout d’abord, il n’est pas certain qu’il soit d’Hippocrate. Ensuite, il n’a pas de valeur légale car la déontologie des médecins (et dentistes, sages-femmes et pharmaciens) est régie par la loi dans le cadre du Code de déontologie dont l’Ordre des médecins, notamment, est le garant.

Surtout, la beauté du métier de chercheur n’a rien à voir avec le catéchisme opaque qu’on impose aux jeunes docteurs sous forme de “serment”. La plupart des formules solennelles dérivées de la célèbre page du Corpus hippocratique trouvent des phrases heureuses pour souligner que le jeune médecin peut désormais, avec soin, participer efficacement et avec bonheur au bien général.

On cherche en vain dans le malheureux “serment” la moindre trace d’optimisme, de bonne humeur, ou d’incitation aimable à contribuer au bien commun. Et on devrait trouver des mots pour souligner le bonheur tout humain de la recherche, qui n’est certainement pas un aspect négligeable en la circonstance.

Conclusion

Il paraît donc pour le moins maladroit de prétendre imposer, avec solennité, aux gens qui soutiennent des thèses un texte dont on ne leur dit pas le véritable statut ; qui formule maladroitement des recommandations auxquelles on a donné, croyant être impressionnant, un tour obscur ; qui répand l’idée que la recherche côtoie un monde de truands.

Et qui de surcroît, contre tout esprit scientifique, présente un « serment » comme une solution.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
François Jacquesson (14 février 2025). Pourquoi le « serment doctoral » n’est pas bon. Caramel. Consulté le 24 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13bgc


Une réflexion sur « Pourquoi le « serment doctoral » n’est pas bon »

  1. Pour avoir soutenu une thèse, puis une habilitation à diriger des recherches; pour avoir été directeur de thèse, pour avoir participé à (tiens, j’ai pas pensé à compter) nombre de jurys de thèse en France et ailleurs, ainsi qu’à des comités de thèse; pour avoir, chaque février pendant dix ans, dans le vivier de nos étudiants en DEA (devenu Master), “choisi” puis préparé celui qui se présenterait en mai au concours de la bourse accordée par la Région, qu’ai-je fait d’autre que mon métier de chercheur, soucieuse de prévoir et orienter une belle relève, celle qui travaillerait à nos côtés ou partirait au loin, celle qui nous succéderait, comme nous avions succédé (sans chercher, les dieux nous en gardent, à les remplacer) à nos maîtres, Robert Folz, André Leroi-Gourhan, Jean Guiart, Robert Creswell, Bernard Pottier, Jacques Barrau, André-Georges Haudricourt, Jacqueline Thomas?
    Qui dira les nuits d’angoisse qui précèdent ou suivent ces moments-clés: ai-je fait le bon choix en “choisissant” pour le concours de bourse celle-ci plutôt que celui-là? Qui comptera les ratures, les retouches dont sont constellés les brouillons de nos rapports de thèse? À quoi aura servi mon courage de maintenir, seule contre tout le jury, que je refuse la “mention très bien” à cette thèse-ci? Avec quels arguments expliquer à celui-ci, qui vient de si loin, que son travail n’est pas mûr; à celle-ci qu’une inscription en thèse la mènera à l’échec?
    Et d’où tirè-je ces certitudes? Non pas de la morale, qui est la volonté d’imposer le Bien; peut-être, mais inconsciemment alors, de l’éthique, qui reste la volonté d’atteindre un Mieux? La science étant la rencontre de la nature et de l’esprit humain, le chercheur n’a nul besoin de serment pour transformer cette rencontre en bonheur.
    François, merci pour cet important billet.
    Françoise Grenand

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