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Au pied du sapin

Caramel est moins vieux que le Père Noël, plus jeune que la notion de ‘friandise’, dont le sens moderne date du XVIe siècle.

Caramel se promène comme il peut à travers les siècles, ici et là sur la planète et même ailleurs, avec l’idée que tous ces « ailleurs » nourrissent notre monde d’aujourd’hui. Quand nous sommes plus sensibles aux “ailleurs”, nous sommes plus solides pour “aujourd’hui”.

Ce caramel revient sur les caramels, dont il y a plus de 440, pour vous indiquer lesquels ont suscité le plus de curiosité en cette année 2024.

Il revient aussi, et je vais commencer par là, sur ‘Quarante visages’, un caramel commenté par plusieurs lectrices.

L’œil du début.

Le 8 octobre 2024, j’ai posté le caramel ‘Quarante visages’ qui proposait en trois sections 40 images de visages parmi ceux qu’on trouve dans les tableaux du Musée du Louvre. A la fin, je proposais aux lecteurs de faire leur choix : lesquels avaient-ils aimés et, s’ils étaient d’humeur, pourquoi. Trois réponses complètes m’ont été adressées, qu’on peut lire à la suite du caramel en question.

On m’a demandé quel était mon choix personnel. Question difficile, comme de demander à celui qui a fait la cuisine quel plat il a préféré.

Une partie importante du travail était d’isoler les visages. La plupart de ces gens dans les tableaux portent des coiffures. Je voulais, pour mieux les extraire de leur époque et nous concentrer sur les visages eux-mêmes, réduire l’importance des chapeaux et des coiffes.

Visage n°4.

L’exercice était inégal. Les musées occidentaux montrent de nombreux tableaux où figure Marie, la mère de Jésus. Aucun de ces peintres, malgré la légende de saint Luc, n’a jamais vu Mariam1 : il ne s’agit pas d’un portrait. En outre, le christianisme de l’époque des peintres, comme l’islam, affuble les femmes de voiles censés ramener les Tentatrices à ce que les religieux appellent la « modestie » : la cuisine, les enfants, et la satisfaction masculine.

Permettez-moi de saluer au passage le courage des Iraniennes qui expriment leur volonté de s’habiller comme elles le souhaitent, au lieu de se soumettre au voile.

Le visage de cette Marie imaginaire est abonné à son voile. Chercher à voir le visage au-delà du costume, ce n’est pas indifférent !

Jean le Bon

Un intérêt de cette collection était que, les coutumes vestimentaires une fois repoussées dans les marges, on y voyait apparaître plus clairement les manières de peindre les visages.

Le portrait qui se veut véridique, très présent chez les Romains de la République et des premiers siècles de l’Empire, disparaît avec l’empire byzantin qui souhaite donner une forme abstraite aux figures, celles du Pouvoir en particulier, mais elles servent de modèle ; un tabou de l’image se répand, qui est un temps commun à l’islam, au christianisme oriental, et au judaïsme. Comme si la surface était forcément superficielle, et la profondeur plus vraie ; ce dont on peut douter. L’autopsie n’est pas la meilleure façon de voir les gens.

En France, le premier tableau qui se veuille un portrait est celui du roi Jean le Bon (au Louvre), mort en 1364. La 2e moitié du XIVe siècle défend un premier goût d’une temporalité à la mesure de l’homme. Le temps se met à passer au rythme d’une vie ; c’est d’ailleurs l’époque des premières horloges.

Visage n°19.

La peinture des visages n’est pas seulement tributaire de cette évolution des rythmes et des calendriers, elle en est une expression majeure. Il est donc difficile de “mettre à plat” cette galerie de 40 visages comme s’ils étaient faits du même moule. Cela rend l’exercice du “choix” plus compliqué.

Pour moi, il est presque impossible de choisir ces ‘visages’ sans les rapporter aux tableaux dont je les ai sortis. Comme il s’agit de tableaux d’un musée que je visite souvent, certains me sont plus familiers que d’autres : j’ai mes habitudes ! Surmontons ces scrupules, et proposons quelques tableaux favoris parmi nos Quarante visages, dans l’ordre des numéros du caramel en question.

Autoportrait daté (1493, ici en haut) de Dürer. C’est ce que les historiens d’art appelleraient un tableau ‘très célèbre’. Albrecht Dürer est né en 1471 ; ici, il a donc 22 ans. D’autres peintres plus tard, notamment Rembrandt (1606-1669), ont laissé plusieurs autoportraits à des moments différents de leur vie – c’est un sujet passionnant.

Ici, on note à la fois le curieux strabisme, la coiffe de travers, et la finesse du dessin. Dürer a laissé des dessins et des gravures qui sont comme à cheval entre les miniaturistes des manuscrits et les tableaux plus amples. C’est un homme qui a vécu dans plusieurs dimensions, un peu comme si un spécialiste des paramécies, habitué au microscope, se révélait soudain être un astronome.

L’image à droite n’est qu’une partie du tableau, qui représente une Descente de croix, et s’inspire d’un tableau de Van der Weyden. C’est un tableau fascinant, presque autant que la Crucifixion du Tintoret (1565) à la Scuola San Rocco, à Venise. Alors que chez Tintoret la dramaturgie est généralisée, le gigantesque tableau étant saisi dans une lumière fantastique, ici (vers 1500) chaque petit groupe, et même chaque personne conserve son individualité.

La Marie-Madeleine qui fait notre sujet (le pot d’onguent à ses pieds, invisible ici, l’identifie), avec sa larme, tenant de sa main droite le pied troué de l’homme qu’elle aimait, nous regarde. Sa main gauche, gantée, presse son sein. Elle est la seule des dix personnages à nous regarder en face.

Je ne suis pas un grand admirateur de Raphaël, parce que c’est souvent un poseur. Mais son portrait de Castiglione “crève l’écran”, peut-être aussi à cause de ces yeux bleus dans un monde gris-brun-noir. On ne peut pas ne pas s’arrêter devant, quand on parcourt la Grande Galerie.

Castiglione est un des plus curieux personnages de la Renaissance italienne, qui pourtant les accumule. Il est une sorte de version tamisée de Machiavel, à la même altitude2. On imagine souvent ces grands savants, grands hommes d’action aussi, comme des personnages irascibles, impétueux, tonitruants – comme le Romantisme français nous les a parfois dessinés. Mais on se trompe : c’était des gens aimables. Leur tranquillité était la source de leur fermeté. Ils n’avaient pas besoin d’être des excités pour être influents.

Le portrait ci-contre est le premier portrait moderne. Si on le voyait, posé sur un piano, au Musée de la Vie romantique ou, à Varsovie, au Musée Chopin, on ne serait pas surpris.

En réalité, il date des environs de 1520, et c’est probablement un tableau de Corrège. On a longtemps pensé qu’il s’agissait d’un autoportrait de Raphaël, mais c’est peu vraisemblable. Une grande partie de l’hésitation de la critique savante tient à la posture amusée et sympathique du personnage, dont il est difficile de croire qu’il s’agit d’un modèle qui pose.

Numéro 22.

Voici l’ensemble du tableau de Lambert Sustris, Vénus et l’amour, vers 1550. Dans le caramel des Quarante visages, on ne voit que le visage de Vénus, penché vers l’Amour ailé ou les volatiles de démonstration. Et on ne comprend pas pourquoi il est penché, ce qu’elle observe. Elle n’observe pas, en tout cas, Mars au fond à droite, supposé approcher son épouse attitrée.

On ne l’a pas expédiée au Louvre Abu-Dhabi. Cette Vénus moderne m’a toujours plu. J’aime son érotisme gentil associé à un naturel parfait. Souvent, je rêve qu’elle anticipe les jours heureux que nos descendants connaîtront. Et j’aurais aimé rencontrer ce monsieur Sustris, capable de nous présenter ce nudisme décontracté.

Rubens a peint une série de grands tableaux commandés en 1621 par Marie de Médicis, veuve d’Henri IV. Le second des 24 tableaux représente ‘l’Instruction de la reine’, Marie, avec à droite les Trois grâces, qui ont été voilées par des repeints entre XVIIe et XIXe siècle. Celle des trois qui est à gauche et qui fait l’objet de notre n°28, ressemble comme deux gouttes d’eau à l’épouse de Rubens.

Dans le caramel ‘Le Bonheur et la joie‘, je vous ai raconté comment j’avais commencé à apprécier Rubens : en découvrant qu’il était un des tout premiers à peindre des sourires, à oser afficher le bonheur.

Numéro 36

Ce monsieur est Pierre Sériziat (1757-1847), un ami de David, le peintre. A la chute de Robespierre, David avait été emprisonné. Une fois libéré, il se réfugie à la campagne chez son beau-frère, le monsieur ci-contre. Le tableau a été montré au salon de 1795 ; David, né en 1747, approchait la cinquantaine.

Il a peint aussi Émilie Sériziat et son fils, qui est aussi au Louvre. Émilie était la sœur de la femme de David. Pour nous, il est intéressant de constater que celui qui a peint Marat assassiné, ou Bonaparte franchissant le Grand Saint-Bernard, est tout autant le peintre de sa famille et de ses amis. Le chapeau, comme souvent dans nos tableaux, est important ; mais aussi à cause de l’ombrage porté sur le front, jusqu’à l’œil droit. Une asymétrie intelligente.

Caramel et ses lecteurs

Voici les 12 caramels les plus consultés en 2024 (jusqu’au 20 décembre) En commençant par le plus consulté d’entre eux et ensuite en décroissant. On peut cliquer sur le lien, et j’ai ajouté la date de la mise en ligne et, après la barre /, le numéro de référence. Le lien explicité de ‘Croire sur parole’, par ex., est https://caramel.hypotheses.org/22770

Croire sur parole (5 nov 2022, /22770)
Le Bonheur et la joie (19 mai 2024, /46374)
Quatre points cardinaux (15 janv 2021, /9172)
En vérité je vous le dis (26 mai 2020, /7298)
Le Cercle rouge (20 juil 2020, /7772)
Les noms des petites bêtes (4 sept 2020, /8147)
Roman et romain (20 déc 2021, /12869)
Deux mots pour le dire (26 nov 2019, 3291)
La morale de l’histoire (29 janv 2022, /13376)
Voyelles et consonnes (5 oct 2022, /21532)
Naissance de Vénus (9 oct 2021, /12104)
Calypso, la femme cachée (6 déc 2020, /8834)

Voici maintenant les 24 caramels les plus consultés entre juin 2022 et maintenant, donc sur une période de 2 ans et demi. Caramel est plus ancien puisqu’il a commencé en 2019, mais les comptages faciles à obtenir sont limités à cette période. Beaucoup de ces caramels sont dans la liste plus étroite ci-dessus et dans leur cas je n’ai pas répété les indications.

Croire sur parole
En vérité je vous le dis
Quatre points cardinaux
Les noms des petites bêtes
Le bonheur et la joie
Roman et romain
Le Cercle rouge
Naissance de Vénus
Calypso la femme cachée
Guerre des lettres et des chiffres (26 oct 2019, /2728)
La fée Morgane et la chambre peinte (17 août 2021, /11510)
Pince-mi tombe à l’eau (8 mars 2021, /9715)
La Morale de l’histoire
Deux mots pour le dire
Voyelles et consonnes
La Métaphore du chemin (23 janv 2022, /13225)
Rashômon : le mensonge vrai (17 mars 2020, /6555)
Serendip, une île (22 janv 2021, /9269)
Pourquoi y a-t-il des exceptions ? (6 mai 2020, /7122)
Le cri du paon (29 sept 2022, /21300)
L’arbre et le labyrinthe (29 mars 2020, /6726)
Pourquoi le diable est un serpent (10 fév 2019, /492)
Les gros poissons mangent les petits (22 août 2019, /2341)
L’aile de la nuit (16 juin 2022, /18324)

Ce catalogue est basé sur le nombre de ‘clics’, et est à prendre avec précaution : il ne signifie pas que chaque ‘clickeur’ aura lu le billet en entier ! Il arrive, pour des raisons que j’ignore, qu’un vieux caramel trouve soudain une faveur inattendue et se mette à prospérer ! C’est mystérieux, souvent amusant, et on se gardera d’en tirer vanité.

On me demande quels sont mes préférés. Je les aime tous, bien sûr ! Mais je trouve que les lecteurs ou lectrices ont souvent bon goût. Il est heureux aussi que leurs goûts soient divers car s’ils étaient tous du même avis, devrais-je le suivre ?

NOTICES des images. (1) Mousse dans un pavage dans la Drôme, décembre 2024. (2 et 3) Voir le caramel commenté. (4) Le portrait de Jean le Bon est au Louvre. (5 à 12) sont des photos faites pour le caramel ‘Quarante visages‘, où les visages ont été “extraits” de photos du même jour.

  1. Mariam est dans les évangiles son nom courant. On trouve Marie mentionnée 12 fois dans Luc, 5 fois dans Matthieu, 1 fois dans Marc. Lorsque son nom est au génitif (5 fois), c’est Marias ; à l’accusatif (3 fois), Mariam ou Marian. Lorsqu’il est au nominatif (10 fois) on a Mariam, sauf (pour Luc) dans le palimpseste d’Ephrem et le Codex Bezae où on lit Maria. []
  2. Baldassare Castiglione (1478-1529) et Nicolas Machiavel (1469-1527). Machiavel était donc son aîné, mais ils sont morts dans les mêmes années. []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
François Jacquesson (25 décembre 2024). Au pied du sapin. Caramel. Consulté le 14 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12zt5


2 réflexions sur « Au pied du sapin »

  1. Ah! Mais c’est qu’il a triché, le madré!!
    Tout sourire, il nous invite à «jouer, à condition de ne pas aller voir les tableaux entiers», ce que nous fîmes, avec, pour ma part, grande difficulté.
    Et le revoilà, faisant fi de la règle qu’il a lui-même fixée, et finissant par nous avouer, tout penaud, quand même: «Pour moi, il est presque impossible de choisir ces ‘visages’ sans les rapporter aux tableaux dont je les ai sortis».
    Vous êtes tout pardonné, voyons…
    Et longue vie aux Caramels qui n’en finissent pas de pimenter la vie. (Comme il existe un délicieux chocolat au piment, il faudrait inventer un caramel piquant, ne trouvez-vous pas?)
    Françoise Grenand

    1. Chère Françoise,
      Mais je ne m’étais pas fixé de règle, à moi !
      Amitiés, François

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