Olympie

Dans un précédent ‘caramel’¹, j’ai été léger à propos d’Olympie, le site antique. J’ai donc décidé d’aller y passer quelques jours.

A cause de la saison, ce billet peut sembler touristique. Les lecteurs jugeront.

Ce sera bien sûr une visite à la façon de Caramel.

Acte 1. Ce qu’on trouve ou pas

La plupart des touristes restent une journée à Olympie, et dans le bourg quasi-balnéaire qui s’est créé près de l’entrée du site archéologique. On trouve facilement des plans simplifiés du site, des renseignements sur les monuments célèbres, et surtout sur les beaux objets découverts pendant les fouilles, ici ou alentour – objets qui se trouvent dans l’actuel Musée archéologique², inauguré en 1982 par Mélina Mercouri ; la présentation actuelle date de 2004, qui est aussi la date où l’on a remonté quelques colonnes pour donner de l’allure à plusieurs temples du site.³. Nous allons nous occuper des ruines plus que des objets.

C’est une double étrangeté. Les alluvions et les glissements de terrains ont recouvert le site ancien, jusqu’à une hauteur de plusieurs mètres, de sorte que les équipes des archéologues ont dû ôter des tonnes de gravats souvent argileux, qui ont assez bien préservé les objets. Dans un premier temps, comme on voit grâce aux photos d’avant 2004, on a obtenu une sorte de réapparition des bases des bâtiments, qui rendait assez facile la reconstitution de leur plan – du moins quand on parvenait à désenchevêtrer les reconstructions successives – puisque ce qu’on obtenait le plus clairement était (en principe) le dernier état du bâtiment, souvent d’époque romaine.

Ce tracé simplifié est comme une radiographie – et le public d’aujourd’hui n’aime plus tellement cette manière qu’il juge souvent abstraite ou “pédagogique” et sèche. On essaie d’y remédier en remontant quelques colonnes, et en donnant sur le site, près des bâtiments le plus clairement identifiables, des indications pourvues de reconstitutions dessinées. Ce travail de présentation, très bien fait, a dû prendre des milliers d’heures.

Mais toutes les offrandes apportées autrefois, statues et cadeaux aux dieux ; plus tard aux familles impériales romaines, ou aux puissants plus locaux, tout ce qui faisait la piété et/ou le tourisme antique, très vivant, avec ses boutiques et ses trafics, ses ouvriers locaux, le personnel des temples, tout cela a disparu bien sûr, et les objets qui restent ont été transportés au musée. C’était nécessaire, mais cela contribue aussi à l’image très spéciale, très “site archéologique” de l’ensemble. Comment faire autrement que de dissocier ce qui est immobilier, en pierres et parfois en briques, et le lot de petites choses qui animait autrefois tout cela ?

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Il y a deux façons (disons les choses comme cela) de regarder les monuments : de loin, pour en saisir l’ensemble, et de tout près quand on peut approcher.

Acte 2. De loin

De loin, les meilleures photos sont les grands tirages noir-et-blanc magnifiques qui sont dans l’entrée du Musée. Vous en avez un détail au début de l’acte 1. Ces photos ont été faites avant qu’on ne remonte quelques unes des colonnes.

Le temple d’Héra, épouse de Zeus, était en réalité consacré au couple, avant qu’on ne construise le temple de Zeus⁴. Il a été bâti vers 600 AEC, en partie avec les matériaux d’un temple précédent, construit vers 650.

L’image ci-contre, détail d’un des clichés dont j’ai parlé, montre en somme le plan du bâtiment. On voit les éléments “inutilisés” bien rangés sur le côté.

Le temple d’Héra est aujourd’hui, sur le site archéologique, non seulement le temple le plus ancien, mais aussi le seul où l’on puisse accéder.

Dans tous ces temples, dans le Nymphée et dans les Trésors de plusieurs cités déposés là (ils sont disposés en ligne à l’est du Nymphée, surmontant le site), et ailleurs, on a retrouvé de très nombreux objets, grands et petits. Quand le voyageur-historien grec Pausanias, qui a rédigé son Voyage autour du monde (grec) à Rome vers 174 EC, décrit les temples d’Olympie, et parmi eux celui d’Héra (livre V, ch. 16-17), il décrit aussi avec soin toutes les offrandes, statues et objets d’art, qui s’y trouvaient quand il y est passé.

Dans le temple d’Héra, les fouilles allemandes, en activité dès 1875, ont retrouvé assez vite (1877) des objets extraordinaires. D’abord l’objet-phare du Musée, l’Hermès dit de Praxitèle. Praxitèle, au IV^e siècle AEC, est le plus célèbre des sculpteurs grecs. On connaît très peu d’originaux signés par lui (les artistes grecs signaient parfois leurs œuvres, à cette époque). Celui-ci n’est pas signé non plus, mais Pausanias dit (V, 17, 3) avoir vu dans le temple d’Héra un Hermès portant Dionysos enfant, et dit qu’il s’agit d’un travail de Praxitèle. C’était trop beau. D’autres experts ont fait observer que l’œuvre était peut-être plus tardive… Ils ont peut-être raison, mais le Musée ne les cite pas.

A l’époque romaine, quelques siècles plus tard, le temple d’Héra n’était peut-être plus un lieu très sacré, mais c’était à coup sûr un endroit chic. Comme une combinaison entre un club féminin très smart et une salle du Louvre. Les dames bien nées de la région voulaient y avoir leur statue. Et parmi ces statues, il y en a une d’une personnalité remarquable, Poppée. Elle n’était pas de la région.

Poppée est bien connue des mélomanes parce que Monteverdi, au début du XVII^e siècle, a composé un opéra qui s’appelle Le Couronnement de Poppée, quand elle est devenue l’épouse de Néron. Elle est bien connue aussi des amateurs de peinture antique, parce qu’un des plus beaux endroits où voir des décors d’intérieur peints est la Villa de Poppée, près de Naples, ensevelie dans la fameuse éruption du Vésuve, puis rendue aux visiteurs grâce à des années de déblaiement et de soins.

Mais le temple d’Héra a pour nous un intérêt particulier : on peut le voir de près.

Acte 3. De près

scène 1. Paysage, plantes

Les arbres sur le site sont surtout des pins, des chênes verts, des oliviers, des arbres de Judée, et des platanes d’Orient.

scène 2. Bêtes et bestioles

La plupart des photos de cette ‘scène 2’ on été prises au bord du Kladéos.

scène 3. Pierres.

Délaissons les marbres, qu’on importait depuis les îles. Intéressons-nous à la pierre locale, le pôros dont parle Pausanias, qu’on trouve largement employée dès le VII^e siècle, au moment de la construction du premier temple d’Héra. Pausanias fait remarquer qu’au début, les colonnes étaient en bois, et qu’on les remplaçait par la pierre à mesure qu’on pouvait.

J’ai soigneusement regardé plusieurs centaines de ces pierres locales taillées et il est clair, même pour un néophyte comme moi, qu’elles ne proviennent pas toutes des mêmes lits de carrière, ni (on me l’a confirmé au Musée) des mêmes carrières. Certaines pierres sont faites de coquilles très visibles (ci-dessus et ci-dessous), d’autres (plus loin) sont faites de débris plus fins. Certaines autres offrent, surtout de près, des formes qui évoquent tantôt le sol d’un astéroïde vu de loin, d’autres au contraire des anfractuosités de falaises mystérieuses.

Certaines des images ci-dessous sont des macro-photos. La taille des détails est plus grande qu’à vue d’œil.

Nous ne sommes évidemment pas les premiers à méditer sur ce qu’apporte, à la science comme à la rêverie, ces vues “en plus gros” – comme si nous étions devenus plus petits, de la taille d’un gros insecte peut-être. La comparaison est fausse, car nous n’avons pas les mêmes yeux qu’eux. Et surtout, nous pouvons changer d’optique, au sens propre comme au sens imagé.

Les microscopes apparaissent, à la bascule entre XVI^e et XVII^e siècle, d’abord issus des ateliers où l’on fabriquait des lunettes de vue, et des lunettes astronomiques. Galilée avait appelé le sien occhiolino ‘petit œil’, ce qui nous rappelle notre caramel ‘Ocelle‘ ! L’un de ses amis a inventé le mot plus savant de microscope. Mais l’observation au microscope impose beaucoup de contraintes, notamment pour la mise au point.

On comprend l’enthousiasme qu’ont éprouvé les premiers observateurs des petites choses. Il ne s’agit plus seulement des “petits riens” qui font la vie, comme ceux du Dieu des petits riens, le roman (1997) d’Arundhati Roy. Mais aussi de changer de regard. Et de ce fait, quand ensuite on regarde les choses normales, nous aussi nous les voyons autrement.

scène 4. Rongeurs

Mousses et lichens adorent Olympie. Bien sûr, fin août, tout ce petit monde est assez sec, et l’orage d’hier soir n’aura pas changé grand chose. J’ignore quelle proportion des visiteurs (j’en ai entendu qui parlaient : grec, italien, français, russe, espagnol, anglais, allemand, japonais, chinois – et d’autres langues à coup sûr que je n’ai pas su reconnaître) regarde VRAIMENT les pierres. Je veux dire : autrement que comme des morceaux de bâtiment. Pourtant, il y a tellement de pierres qui, justement, sont laissées sur le côté qu’on est presque triste, et le visiteur raisonnable va leur dire bonjour aussi.

Dès qu’on les regarde, ces pierres se plaignent, ou c’est du moins ce que j’entends !

En parlant avec les gens du Musée, j’ai demandé si quelqu’un avait essayé de faire une carte des diverses carrières d’où ces pierres avaient été tirées. Il semble que non, mais s’en assurer est un long travail. Il faudrait lire les rapports des fouilles archéologiques, en allemand quand il s’agit des fouilles de l’Institut allemand, ou en anglais quand il s’agit d’universités américaines, ou en grec bien sûr. En français, le Bulletin de correspondance hellénique, qui résume souvent ce qui est publié ailleurs, est utile lui aussi. Comme on voit par ce bref aperçu, c’est un métier en soi.

Les pierres vieillissent elles aussi.

De subtiles corruptions les atteignent. Certaines sont dues aux pluies acides et d’autres aux lichens “carnassiers” ou plutôt lithophages ! Ils s’étalent parfois largement, blancs, jaunes, orange, rouges ou bruns foncé et noirs – toute une palette qui change avec les saisons.

Il y a les lichens actifs (illustrés dans les photos précédentes), et ceux qui ne laissent que leurs traces, une tache souvent en forme de disque (ci-contre) parfois blanche genre lèpre, parfois noire genre goudron. Je sais bien que je vais me faire des ennemis parmi les spécialistes des lichens, mais quand même ! Ils souriront.

Parfois ces mini-monstres se réfugient dans les petits creux en imitant Asplenium ceterach, le Cétérach official (ci-contre à gauche), une petite plante qui peut se recroqueviller quand les temps sont durs.

Si vous regardez bien cette photo, dont j’ai réduit la qualité pour ne pas faire exploser la plate-forme Hypothèses à laquelle je tiens – bonjour en passant aux collègues là-bas en France ! – vous voyez une sorte de poudre sur la roche. Je vais vous faire un gros plan :

Vous voyez ces centaines de petits coups d’épingles sur la roche grise ? Et vous trouvez cela normal ?

Conclusion

Quand je me promenais sur le site, au long des journées, avec mon appareil photo et ma piécette d’un centime pour étalonner les dimensions sur certaines photos, j’avais droit à des remarques gentilles. Une fois, alors que j’utilisais un crayon pour donner l’échelle sur une photo, un monsieur a dit en russe à ses enfants : ‘c’est un archéologue’. Je n’étais pas peu fier, mais j’aurais dû protester. Mon crayon est tombé à ce moment-là.

Une autre fois, alors que je contemplais (peut-être un peu endormi) les pierres mises sur le côté du temple de Zeus, un monsieur passe et dit à son fils : Πάντα ῥεῖ et il lui traduit le grec en italien, tutto scorre. J’ai souri, parce qu’il s’agit d’une célèbre formule attribuée au philosophe grec Héraclite, et qui signifie ‘tout s’écoule’, ‘tout s’en va’. Le papa a vu que je souriais et m’a dit Ha capito! Oui, j’avais compris – mais je trouve que la formule simplifie les choses, car tout ne “s’en va” pas du même pas, ni avec les mêmes adhérences, ne laisse pas des traces de la même manière.

Ce site d’Olympie montre très bien que c’est plus subtil – sauf le respect dû à Héraclite, bien sûr.

NOTICES des images. Toutes les images proviennent de photographies prises entre 23 et 28 août 2024 à Olympie.

1. ‘Les temps où nous vivons‘. [↩]
2. Une bonne introduction ici. [↩]
3. Un musée avait d’abord été construit, par des Allemands mais avec des fonds privés grecs. Ce musée abrite aujourd’hui un musée de l’histoire des Jeux olympiques ; à côté se trouve un édifice plus modeste qui exposait l’histoire des fouilles, mais il est définitivement fermé. [↩]
4. Pausanias explique (V, 17, 1) que, quand il a visité le temple d’Héra, il y avait deux statues : Héra assise et Zeus debout auprès d’elle. [↩]

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